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Interview accordée par S.E.M. Alassane Ouattara, Président de la République de Côte d'Ivoire, au Quotidien du Peuple et à l'Agence Chine Nouvelle
2015-12-09 17:18

Ndlr : A la veille du Sommet de Johannesburg du Forum sur la Coopération sino-africaine, S.E.M. Alassane Ouattara, Président de la Côte d’Ivoire, a accordé une interview écrite au Quotidien du Peuple et à l’Agence Chine Nouvelle. Nous publions le contenu intégral.

Q : Excellence Monsieur le Président, nos plus vives félicitations pour votre victoire éclatante dans l’élection présidentielle. Durant votre premier mandat, les relations sino-ivoiriennes ont connu un développement rapide sous l’impulsion conjointe de votre Excellence et des dirigeants chinois. Comment évaluez-vous nos relations bilatérales ?

R : Je vous remercie pour ces félicitations. Nous sommes contents que ces élections aient pu se dérouler dans la paix, le calme et la discipline. Je tiens à saisir une nouvelle fois l’occasion qui m’est offerte au travers de cette interview pour féliciter l’ensemble des Ivoiriens pour la maturité, le civisme et la tolérance affichés tout au long du dernier processus électoral, qui a été un réel succès.

La Chine est une grande puissance dont le marché est convoité au niveau mondial par bon nombre d’entreprises des secteurs tant privés que publics. Nous avons constaté au cours de ces dernières années dans le cadre de l’accroissement de relations sud-sud, un renforcement des relations commerciales entre la Chine et l’Afrique. En Côte d’Ivoire nous avons également considérablement accru nos relations avec la Chine. La coopération entre nos deux pays couvre divers domaines notamment, l’assistance technique, la réhabilitation et la construction de nos infrastructures économiques, la culture et l’assistance financière. Nos échanges commerciaux ont d’ailleurs considérablement augmenté au cours de ces quatre dernières années. La Chine est le 3ème fournisseur de la Cote d’Ivoire. Les exportations de la Cote d’Ivoire vers la Chine sont passées de 39 à 70 milliards de FCFA entre 2010 et 2014. Durant la même période, les importations ont augmenté de 270 à 485 milliards. Lors de ma visite en Chine en juillet 2012, j’ai pu me rendre compte de l’engagement de la Chine à soutenir les efforts de développement de la Côte d’Ivoire. Les engagements de la Chine se concrétisent sur le terrain par des chantiers importants de grands projets structurants. Nous sommes donc satisfaits de l’évolution de notre partenariat avec la Chine et de nos relations bilatérales.

Q : Ces dernières années, le développement socio-économique de la Côte d’Ivoire a connu des progrès considérables. L’économie ivoirienne a enregistré une croissance rapide de 8% chaque année. Le Plan national de développement (PND) a eu des succès remarquables, surtout dans la construction des infrastructures. La coopération sino-ivoirienne dans de multiples domaines est très énergique, avec les grands projets comme la construction du barrage hydroélectrique de Soubré, la réalisation de la première phase du projet d'alimentation en eau potable d'Abidjan, la réhabilitation du Port autonome d’Abidjan et la construction de l'autoroute Abidjan Grand-Bassam. Que pensez-vous des échanges commerciaux et de la coopération entre nos deux pays au cours de ces dernières années?

R : Permettez-moi avant tout d’apporter une petite correction. La croissance de la Côte d’Ivoire a été de plus de 9% et non 8% !

Comme vous venez de le mentionner, nous avons énormément travaillé avec la Chine dans le cadre du développement de nos infrastructures économiques. Le soutien de la Chine dans ce domaine a été non seulement technique mais également financier et nous comptons continuer cette coopération. Néanmoins et bien que nous soyons satisfaits de cette relation, nous pensons que nous pouvons aller encore plus loin. Dans le cadre de notre politique d’industrialisation, nous avons pour objectif d’augmenter la part de valeur ajoutée dans les exportations ivoiriennes. Nous souhaitons aussi augmenter la part des ventes de produits semi-finis et finis ivoiriens vers la Chine. Plus spécifiquement, nous avons la possibilité de développer considérablement notre industrie agro-alimentaire en faisant de la Chine un marché privilégié. Nous pourrions par exemple, vendre à la Chine, plus de produits finis à base de chocolat. Le potentiel d’échanges commerciaux est énorme et nous devons le matérialiser.

Q : De nombreux observateurs sont optimistes sur les perspectives de l’économie ivoirienne, en estimant qu’elle maintiendra une croissance de 8% l’année prochaine. Par ailleurs, les futurs 5 années constituent une phase cruciale pour le Plan d’émergence ivoirienne à l’horizon 2020. Selon vous, quelles seront les priorités du développement économique ivoirien, et quel rôle les investissements chinois pourront-ils jouer dans les 5 ans à venir?

R : Nous continuons de tabler sur une croissance annuelle moyenne entre 8 et 9% sur les 5 prochaines années. Pour ce faire, nous comptons sur le maintien des prix du cacao à un bon niveau et sur le retour à de meilleurs prix pour d’autres matières premières telles que le caoutchouc naturel par exemple. Nous allons continuer à mener une gestion macro-économique saine et rigoureuse sur les prochaines années. Cependant, afin de devenir un pays émergent, il va nous falloir continuer à travailler dans la paix et la sécurité. Il va nous falloir donner aux ivoiriens et aux investisseurs une justice équitable et un environnement des affaires approprié. C’est dans ce contexte que j’ai défini les priorités du plan 2016-2020 autour de 4 grandes priorités.

· Le renforcement des institutions pour la paix, la cohésion sociale et la bonne gouvernance;

· La transformation de notre économie ;

· L’amélioration des conditions de vie ;

· La promotion de la jeunesse et de la femme.

La Côte d’Ivoire est un pays où 77 % de la population a moins de 35 ans. Notre pays doit s’industrialiser si l’on veut continuer à améliorer la qualité de vie de nos concitoyens à travers une croissance économique soutenue et dont les fruits bénéficient à tous.

La Chine constitue un modèle en terme de transformation de son économie afin de la rendre plus compétitive à l’échelle internationale. Nous avons donc beaucoup à apprendre du modèle de développement de la Chine et de son expertise en la matière. De plus, la transformation de notre économie pourra être accélérée si nous arrivons à augmenter de façon conséquente le volume de nos exportations de produits finis vers la Chine. Nous comptons donc renforcer notre coopération avec la Chine à travers un partenariat gagnant-gagnant.

Q : Bienvenu au Sommet de Johannesburg du FCSA (Forum sur la coopération sino-africaine). Ce Forum constitue une plate-forme de dialogue et de coopération pour la Chine et les pays africains dans les 15 ans écoulés, et le nouveau type de partenariat stratégique sino-africain connaît actuellement un bon élan. Comment évaluez-vous le rôle de cette plate-forme? Quelles sont vos attentes de ce sommet?

R : Les pays africains ont tous un grand besoin de développement de leurs infrastructures tant au plan national qu’au plan sous régional. Au plan national ces infrastructures permettent d’accroitre les productions énergétiques, l’exploitation de certaines ressources naturelles, le réseau routier et les infrastructures sociales. Au plan sous régional, il s’agit essentiellement de pool de distribution d’électricité et de routes transnationales ; ceci afin de connecter les économies entre elles et d’accroitre ainsi leurs échanges commerciaux. L’expertise requise et les moyens financiers nécessaires à ces réalisations sont énormes. La plateforme de ce forum doit permettre de mieux coordonner les efforts de développement de l’Afrique et d’optimiser ainsi la coopération technique et financière entre la Chine et l’ensemble des pays africains. Nous devons utiliser cette plateforme pour mettre en place les grandes orientations et les priorités de la coopération entre la Chine et l’Afrique. La prise en compte du rôle des institutions régionales devra se faire à terme si l’on veut accélérer l’intégration régionale et faciliter la croissance de pôles économiques régionaux.

Q : Vous êtes un économiste renommé. A votre avis, quels sont les avantages et la complémentarité de la coopération économique entre la Chine et l’Afrique? Comment pouvons-nous bien profiter des opportunités de développement de l'un et de l'autre?

R : La Chine a réalisé de très bonnes performances économiques ces dernières années et a considérablement réduit son taux de pauvreté. Ceci étant, la Chine a besoin de maintenir une croissance forte afin de continuer son développement et d’améliorer la qualité de vie de ses populations. Le continent africain est dans la même logique et on peut donc conclure que la Chine et l’Afrique ont en commun d’énormes besoins pour leurs populations. L’idéal serait que ces besoins soient complémentaires.

L’Afrique regorge de ressources naturelles qui sont en grande partie exportées sans transformation. De plus l’Afrique a besoin de développer et d’améliorer la productivité de son secteur agro industriel tout en assurant des débouchés pour ses produits finis. Le marché chinois constitue une opportunité de débouchés des produits agro-alimentaires africains.

Pour la Chine, l’Afrique pourrait apporter une première transformation à ses matières premières et fournir à la Chine des produits semi-finis indispensables à son économie. Voilà un exemple de complémentarité de nos économies.

Mais au-delà de ces échanges, l’Afrique devrait continuer de bénéficier des importations de biens et services de la Chine dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.

Enfin, le rôle de la Chine dans le financement concessionnel de grands projets d’infrastructures sera capital au succès de grands projets structurants pour l’Afrique.

En conclusion, la Chine est la deuxième puissance économique mondiale et le seul pays du sud qui figure parmi les 5 plus grandes économies au monde. Elle est une nation incontournable sur l’échiquier économique mondial. L’Afrique, avec ses ressources naturelles, la jeunesse de sa population et ses besoins de développement constitue le continent de demain. Il est donc important que la Chine et l’Afrique s’unissent afin de mettre en commun leurs complémentarités au profit de leurs croissances économiques et de l’amélioration de la qualité de vie de leurs citoyens.

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